« Celui qui dure ». « Saint Ménas, soldat et martyr ». Un livre de Seÿna Bacot, postface de Christian Cannuyer.

L’Église des trois pre­miers siè­cles chré­tiens est une église des mar­tyrs. À Rome, en Gaule, en Asie mineure, en Égypte, les pas­sions des mar­tyrs font mémoire de ces hommes et de ces femmes de tous âges et de toutes con­di­tions sociales, ces « ath­lètes de Dieu » ten­ant tête avec assur­ance à leurs juges, endurant avec fer­meté les sup­plices les plus var­iés et méri­tant ain­si la couronne immortelle. Les textes qui leur sont con­sacrés, éloges de leur vie, réc­its de leurs mir­a­cles, homélies, prières liturgiques, soulig­nent que le mar­tyre est un bap­tême de sang, plus noble encore que le bap­tême d’eau, et que les saints mar­tyrs sur­passent en gloire tous les autres saints.

Le présent ouvrage est con­sacré à la vie et aux mir­a­cles d’un des saints les plus hon­orés de l’Égypte, saint Ménas. Ce sol­dat de noble nais­sance fut mar­tyrisé en Phry­gie lors des per­sé­cu­tions ordon­nées par l’empereur Dio­clé­tien et ses suc­cesseurs. C’était le 11 novem­bre 309, selon une antique tra­di­tion égyp­ti­enne. Son tombeau atti­ra rapi­de­ment les pèlerins en foule, les mir­a­cles s’y suc­cédèrent. Le mod­este édi­fice, dit mar­tyri­on, con­stru­it sur le lieu même de son mar­tyr, fut vite agran­di, entouré de basiliques, de monastères et de toute une ville, Abu Mina, avec hôtel­leries, marchés et hos­pices pour accueil­lir les pèlerins. Les fouilles archéologiques des XXe et XXIe siè­cles ont ren­du à la vie ces nom­breux édi­fices. Par ailleurs, qua­tre man­u­scrits en langue copte sahidique, à l’écriture et aux orne­ments soignés nous ont trans­mis les détails de sa vie et de ses miracles.

Le culte de saint Ménas se répan­dit rapi­de­ment à tra­vers l’Égypte. De nos jours encore, les pèlerins peu­vent se ren­dre à Abu Mina et vénér­er le saint mar­tyr dans le monastère actuel, érigé en 1959 par le patri­arche Cyrille VI. Ce site est inscrit au pat­ri­moine mon­di­al de l’Unesco. Nous savons que le culte du saint se répan­dit bien au-delà des fron­tières de l’Égypte, et jusqu’en Gaule. Deux églis­es de la Drôme et de la Haute-Garonne pos­sè­dent tou­jours vit­raux et stat­ues représen­tant le mar­tyr. Les fameuses ampoules à eulo­gie que nous pou­vons admir­er dans nos musées sont les témoins de l’universalité de ce culte. Ces mod­estes gour­des de terre cuite représen­taient saint Ménas entouré de deux chameaux, faisant ain­si mémoire de son séjour en ermite au désert. Les pèlerins y recueil­laient un peu de l’huile des lam­pes qui illu­mi­naient jour et nuit la tombe du saint. Ils les rap­por­taient dans leur loin­tain pays et con­tribuaient ain­si à la dif­fu­sion de son culte.

Ce livre réu­nit douze des mir­a­cles de saint Ménas. Dix d’entre eux sont présen­tés pour la pre­mière fois dans leur tra­duc­tion française. Une intro­duc­tion à ces textes per­met de les replac­er dans leur con­texte géo­graphique, his­torique, artis­tique. Elle voudrait faire appréci­er au lecteur la vivac­ité des descrip­tions, la saveur des dia­logues, et la pro­fondeur du sen­ti­ment religieux des pèlerins de cette époque. Elle tente enfin de soulign­er l’importance du culte des mar­tyrs dans l’Égypte des pre­miers siècles.

Seÿ­na Bacot

Post­face par Chris­t­ian Cannuyer

Il est fasci­nant de penser que le nom de saint Ménas, porté par tant de coptes aujourd’hui sous la forme Mina, remonte aux pre­miers temps de la cul­ture pharaonique. Il cor­re­spond en effet sans aucun doute à l’égyptien ancien Méni*, qui, dans la liste dressée par le pharaon Séthi Ier (XII­Ie siè­cle av. J.-C.) sur un mur du tem­ple Aby­dos, ain­si que, peu après, dans le cat­a­logue du Canon roy­al de Turin, n’est autre que le nom du pre­mier roi plus ou moins mythique d’Égypte, tran­scrit « Mîn » par l’historien grec Hérodote au Ve siè­cle av. J.-C. (His­toire II, 99), « Ménès » par le prêtre égyp­tien Manéthon au IIIe siè­cle av. J.-C., et « Ménas » par Diodore de Sicile, au Ier siè­cle av. J.-C. (Bib­lio­thèque his­torique, I.2, 45). Son éty­molo­gie est l’objet de plusieurs hypothès­es, dont la plus plau­si­ble me sem­ble celle qui le rat­tache au verbe mn, « dur­er ». Ménas sig­ni­fierait « Celui qui dure ».
Mina fut aus­si le nom monas­tique porté par le futur pape Cyrille VI (1902 – 1971) avant qu’il ne fût élu suc­cesseur de saint Marc à la tête de l’Église copte en 1959. Ce pon­tife haute­ment charis­ma­tique et très aimé des chré­tiens égyp­tiens avait une dévo­tion toute par­ti­c­ulière pour saint Ménas, dont il vénérait sou- vent les reliques dans l’église du quarti­er de Fom al-Khalig au Caire, où elles avaient été trans­férées au temps du patri­arche Ben­jamin II (1327 – 1339), après que le sanc­tu­aire de Maréotide eut été pro­gres­sive­ment aban­don­né. Devenu cent seiz­ième pape et patri­arche d’Alexandrie, Cyrille VI ordon­na immé­di­ate­ment la con­struc­tion d’un nou­veau monastère à prox­im­ité des ruines du mar­tyri­on du saint dégagées par Carl Maria Kauf­mann à Karm Abu Mina. Le 15 févri­er 1962, les reliques de Ménas y furent solen­nelle­ment retrans­latées, alors que Peter Gross­mann venait de repren­dre les fouilles de l’antique com­plexe. Depuis 1972, Cyrille VI repose dans une crypte sous l’autel majeur de la nou­velle et somptueuse basilique. Grâce à lui, le culte de saint Ménas et le pèleri­nage en Maréotide ont retrou­vé vigueur.

Cyrille VI, vénéré par les Coptes comme l’un des grands saints de l’époque con­tem­po­raine, a été le refon­da­teur du monachisme égyp­tien et même de l’Église copte, qui lui doit large­ment son dynamisme actuel. Qu’il ait, pen­dant sa vie monas­tique, porté le nom de Mina, non seule­ment celui du saint mar­tyr mais aus­si du roi fon­da­teur de la monar­chie pharaonique – dont, dans l’antiquité tar­dive, le patri­arche d’Alexandrie a par­fois été con­sid­éré comme une sorte d’héritier –, illus­tre l’étonnante per­ma­nence, en Égypte, d’une longue mémoire col­lec­tive, qu’elle soit con­sciente ou non… J’ai pu sug­gér­er par ailleurs** que l’iconographie de saint Ménas le mon­trant entre deux chameaux était à met­tre en rela­tion avec celle de stèles mag­iques pharaoniques bien con­nues où le dieu Horus se tient entre des bêtes dan­gereuses, tra­duc­tion égyp­ti­enne du vieux thème ori­en­tal du « maître des ani­maux ». Or, des blocs rem­ployés d’un mon­u­ment pharaonique ont été retrou­vés dans les murs de la pre­mière phase de con­struc­tion du bap­tistère de Karm Abu Mina, qui pour­rait, d’après ce que m’a con­fié Peter Gross­mann en 1999, avoir appartenu à un sanc­tu­aire d’Horus…

En sorte que ce superbe petit livre de Seÿ­na Bacot présente un intérêt à la fois his­torique et très actuel. La dévo­tion envers saint Mina aujourd’hui de nou­veau très vivante s’enracine à la fois dans les orig­ines du chris­tian­isme égyp­tien et dans des tra­di­tions ono­mas­tiques et sym­bol­iques de l’Égypte pharaonique. Comme quoi le temps, en Égypte, ne cesse de don­ner de l’étoffe à l’être. Et Ménas est vrai­ment « Celui qui dure »…

Notes :

*

** Chris­t­ian Can­nuy­er, « Saint Mina aux chameaux : autour des orig­ines d’un icono­type copte », Le monde copte 27 – 28, Limo­ges, 1997, p. 139 – 154. Voir aus­si David Frank­furter, « The Bind­ing of Antilopes : a Cop­tic Frieze and its Egypt­ian Reli­gious Con­text », JNES 63, Chica­go, 2004, p. 97 – 109.

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